"Kitana", ou le récit d'une naufragée.

Entrée : Jour 1 - Plage déserte:

Lorsque je me réveille au bord du rivage de Tortage en ce beau matin, mon corps abîmé par un voyage éprouvant sur la mer agitée du Sud, je réalise que les autres prisonniers sont morts, leurs corps anéantis par la carcasse imposante du bateau flottant au loin.

« Mon nom est Kitana, et je suis une… la survivante. » Je me rappelle au moins de mon prénom.

Mes bras sont affaiblis, je n’ai rien mangé depuis plusieurs jours. Je ressemble à un fantôme échoué sur une plage déserte, je devrais me cacher avant que quelqu’un ne me trouve. Même si mes tatouages sont symbole de lignée noble, je porte des manchettes et une tenue d’esclave. Dans une cave j’attendrais doucement que mon destin vienne m’y trouver.

Ne vous méprenez pas sur ma taille et la couleur de mes cheveux, je vous assure que je viens bien de Stygie. L’histoire de ma famille est aussi ancienne que le temps, dans les couloirs de notre vieille maison nous avons illustré les murs de nos généalogies, des hiéroglyphes représentant nos ancêtres disparus, s’effritant lentement dans la pierre avec le temps.

Oui, je suis née Noble, mais comme vous le voyez, ma peau est foncée comme celui du peuple, elle a été teinte par une malédiction qui emporta tous mes proches, sauf moi. Je suis la seule survivante, encore une fois. J’ai bien peur que vous soyez le prochain à périr si vous vous attardez à mes côtés.

...

Je vois que vous êtes curieux au sujet de mon passé, de ma vie, de mon pouvoir. Je sais bien que les vrais Nobles Stygiens sont d’habitude pâles aux cheveux noirs, laissez-moi vous conter le fardeau de mon héritage.

Mon ancêtre, Suthek, était passionné par les sciences occultes, affamé par leurs pouvoirs, au point de s’aventurer dans la Nécromancie, art banni et fort dangereux. Le pauvre ne s’était pas rendu compte que l’on ne joue pas avec la Mort sans sacrifice, Elle est un serpent malicieux qui prend toujours plus qu’elle ne donne.

Sa jeune épouse bien aimée lui fit prendre conscience trop tard, la légende raconte qu’un soir elle fut souillée de manière épouvantable par une créature de la nuit, qui la laissa défigurée, baignant dans son sang devenu blanc, sur le lit nuptial. Je ne veux pas m’attarder sur cette histoire, son nom est devenu malédiction, on dit que la Créature vient vous chercher pour vous dévorer dans votre sommeil si l’on ose en parler.

Ainsi, au fil du temps, un enfant naît dans ces grandes souffrances: la mère hurle en langue ancienne, incompréhensible, et son visage devient grimace. On y aperçoit la Mort, qui nous sourit à travers sa douleur. La femme blasphème et vomit des vers noirs, des insectes de chair. Cet enfant naît de peau sombre, de chevelure blanche, c’est l’héritage maudit de la Créature. Vous comprenez maintenant, 200 ans plus tard, comment cette malédiction survit.

Je sais que vous vous posez des questions : est ce que j’entends des voix ? Il y a-t-il une paire d’ailes velues dans mon dos ? Est ce que je mange les entrailles d’enfants en me baignant dans leur sang ? La réponse est non. Je suis humaine, exilée par tous, je me sens vide à l’intérieur, presque déjà morte.

Je me présente donc, Kitana, héritière de ce qu’ils appellent les Anciennes Malédictions. Je suis libre; j’ai bien l’intention de continuer à survivre.

Mais je dois vous mettre en garde, la Créature est ici: elle m’a suivie jusqu’à Tortage. Je la sens. Elle guette chacun de mes mouvements avec ses yeux prudents, malveillants et affamés.